Article N° 8144

TABAC - BOISSONS SUCRÉES - ALCOOL

Taxer plus pour sauver des vies et préserver les systèmes de santé

Abderrahim Derraji - 06 juillet 2025 22:52
Face à l’augmentation fulgurante de la prévalence des maladies non transmissibles (MNT) et à l’épuisement progressif des ressources des  systèmes de santé, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) vient de lancer une initiative ambitieuse : «3 d’ici à 2035». L’objectif est d’inciter les différentes nations à augmenter de 50 % les prix réels du tabac, de l’alcool et des boissons sucrées par le biais de la fiscalité, d’ici à 2035. Cette démarche devient urgente, eu égard à l’épidémie silencieuse des MNT qui tue chaque année des millions de personnes à travers le monde.

Au Maroc, les MNT représentent un lourd fardeau pour le système de santé. La consommation de tabac reste préoccupante, touchant près d’un homme sur deux, tandis que l’obésité, le diabète et les maladies cardiovasculaires sont en constante progression. Cette situation s’explique en grande partie par une alimentation déséquilibrée et une forte consommation de boissons sucrées. Malgré ces signaux d’alerte, les politiques fiscales sur les produits nocifs pour la santé restent timides.

L’initiative de l’OMS constitue donc une opportunité stratégique pour le Maroc, non seulement pour réduire l’incidence des MNT, mais aussi pour renforcer les ressources de santé publique, à un moment où les finances publiques cherchent des solutions pour contenir les dépenses. Malheureusement, le principal levier actuellement envisagé semble être la baisse des prix des médicaments – une mesure qui pourrait avoir des effets collatéraux préoccupants. Elle risque en effet de perturber l’approvisionnement en médicaments et de fragiliser le service de proximité assuré par les pharmacies dans toutes les régions du Maroc.
 
D’après l’OMS, une hausse de 50 % du prix de ces produits pourrait éviter jusqu’à 50 millions de décès prématurés dans le monde au cours des 50 prochaines années. En parallèle, une telle fiscalité pourrait générer jusqu’à 1000 milliards de dollars de recettes publiques à l’échelle mondiale au cours de la prochaine décennie. Ces fonds pourraient être réinvestis dans les soins de santé, l’éducation ou la protection sociale.
 
L’exemple d’autres pays, comme la Colombie ou l’Afrique du Sud, montre que taxer les produits nocifs diminue la consommation tout en augmentant les recettes fiscales. Pourtant, de nombreux gouvernements continuent de proposer des incitations fiscales à des industries dont les produits nuisent à la santé publique. 
 
Certains accords d’investissement ou cadres réglementaires limitent même les marges de manœuvre fiscales. Ces pratiques doivent être reconsidérées si l’on souhaite véritablement protéger les générations futures.
 
Une opportunité s’offre aujourd’hui au Royaume pour faire converger ses ambitions de couverture sanitaire universelle avec une politique fiscale audacieuse et préventive. L’initiative «3 d’ici à 2035» de l’OMS offre un cadre clair et éprouvé. Il est temps pour les décideurs marocains de briser les inerties, de résister aux pressions des lobbies industriels et de placer la santé publique au cœur de l’action fiscale. Taxer mieux pour protéger la population, sauver des vies et financer la réforme sociale n’est plus une option, c’est une nécessité. Le Maroc peut – et doit – devenir un exemple régional de fiscalité au service de la santé.

Source : OMS